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PROJET DE PONT TOURNANT entre les deux rives

11/01/91, Jean-Marc Faubert, SO :

[…]
Le pari, lancé sur délibération en date du 23 mars 1990 par le Conseil de la CUB, est d’autant plus important que l’ouvrage sera dans le genre le plus ambitieux, le plus sophistiqué et le plus grand au monde… Ni plus ni moins.

[…]

[…] Même les grands voiliers pourront emprunter le chenal (le même qu’actuellement) grâce à cette travée mobile qui interrompra la circulation sur le pont de 30 à 40 minutes à chaque passage [aujourd’hui, avec les grands paquebots, on prévoit une heure dans chaque sens…]. […]

L’enjeu architectural est tel que soixante-dix candidats se sont proposés pour concevoir le cinquième pont de Bordeaux. Dans quelques jours, courant février, un grand jury présidé par M. Chaban-Delmas et composé d’élus de la CUB et de maîtres d’œuvre, choisiront cinq finalistes. Le lauréat sera connu en juin prochain. De ce concours international et tout à fait exceptionnel devrait naître à l’été 92 l’un des chantiers les plus étonnants que Bordeaux ait jamais accueillis. Fin 1994, tout devrait être achevé.

Les responsables annoncent d’ores et déjà un ouvrage d’art superbe. Et s’enorgueillissent déjà du fait qu’il sera la plus grand pont tournant de la planète.

[…]

[Le simple schéma de pont pivotant émis par la CUB {P}, paru dans Sud Ouest du 11/01/91 et suivi par 2 des 5 candidats retenus sur 70 (voir ci-dessous), laisse ahuri (ahurissement contagieux comme on va le voir). Le principe étant un tablier pivotant sur un axe au milieu de la passe (de 100 m pour les vaisseaux d'aujourd'hui), la largeur utile résultante est réduite de moitié. On prétend que la vase interdit un tunnel (ce qui est faux) mais comment y stabiliser un axe supportant de telles contraintes (poids, vent, etc.) : un ensemble d'environ 100 m de long × 60 de haut ? Sans parler des deux raccordements aux voies d'accès… On conçoit sans études l'impossibilité de construire un pont ouvrant dans les conditions spéciales du port de la lune. Et ne parlons pas de l'esthétique "mastoc" qui ruinerait le patrimoine esthétique de Bordeaux]

06/07/91, PONT DU MÉDOC, Bernard Poupard, SO :

[…]

[…] outre la question purement architecturale, [le problème du jury du concours] consistera à choisir la meilleure réponse par rapport aux exigences concernant l’intégration dans l’environnement urbain, le mécanisme et les aléas du fleuve. Il faudra également tenir compte des temps de blocage de la circulation automobile sur les deux rives, quand la travée livrera le passage aux bateaux dans un chenal navigable d’une largeur minimale de 85 mètres [valeur pour les paquebots de l'époque] entre les défenses de l’ouvrage et d’un tirant d’air au moins égal à celui du pont d’Aquitaine. […]

28/04/92, Dominique de Laage, SO :

[…] Jacques Chaban-Delmas a tenu à délivrer lui-même le délicat message sur la mort annoncée du pont du Médoc:

"Nous avions décidé d’édifier un pont tournant en face du cours du Médoc de manière à respecter la tradition maritime bordelaise. Or, en prenant la direction du comité d’expertise urbaine en juin dernier, Jean Millier s’est montré surpris que nous ayons lancé un tel pari, notamment en raison des humeurs du fleuve. Il nous a donc recommandé de nous adresser à un bureau d’études, Scetauroute, disposant du meilleur expert international en matière de pont à travée mobile: Jean Muller.

"[…]"

Deux ans après la délibération de la Communauté urbaine du 23 mars 1990 par laquelle les élus avaient opté pour ce pont du Médoc sur la base de nombreuses études effectuées par les services de la CUB — et sur la base d’une étude menée par… Scetauroute (?) — le dossier du franchissement de la Garonne est donc revenu à la case départ.

Exit les vaines et interminables polémiques sur le choix d’un pont ou d’un tunnel. Exit les cinq projets retenus en juillet 1991 au terme d’un concours en vue duquel soixante-dix candidats du monde entier s’étaient présentés initialement. Exit l’ambition de démarrer les travaux en juin 1992 ainsi qu’on nous l’avait dit en septembre 1990.

Dans l’attente du verdict définitif de Scetauroute qui nous apprendra en quoi le rêve était impossible, il semble qu’on ait principalement sous-estimé les contraintes du fleuve et surtout le coût réel du projet durant les années d’études. Ce qui semble quelque peu incompréhensible.

25/07/92, Benoît Lasserre, SO :

On repart donc de zéro. C’est ce qu’a dit à plusieurs reprises le maire de Bordeaux, hier après-midi au cours d’une conférence de presse destinée à officialiser ce qu’on subodorait déjà, à savoir l’abandon pur et simple du projet de pont tournant pour lequel soixante-dix architectes du monde entier s’étaient mobilisés, cinq seulement étant retenus en juillet 1991.

Il a beaucoup fait rêver ce pont de science-fiction. Sauf deux personnes. Thierry Guichard, lorsqu’il est devenu directeur général des services techniques de la CUB, et Jean Millier, président de l’Institut français d’architecture et, sur le plan local, président du Comité des deux rives. Tous deux, lorsqu’ils ont plongé leur nez dans les études, en ont blêmi de peur. Et, comme le dit Chaban, la peur est contagieuse. "Jean Millier était effrayé par ce qu’il découvrait, à mon tour j’ai été effrayé."

[…]

[…] "[…] Je sais seulement que nous repartons de zéro et que, grâce à ces deux études, nous évitons de nous lancer dans une aventure insensée qui aurait très mal tourné."

[Les maquettes Calatrava {P} et Serete {P} respectent le schéma CUB {P}.La maquette de Foster {P}, la plus originale, ne respecte pas le projet CUB mais elle a eu les faveurs des "responsables" [SO, 12/05/92]. On ignora les autres considérations, dont la faisabilité, et le couperet tomba. Des bribes s'accrochent à la mémoire (de Bordeaux): sous-estimé les contraintes du fleuve… le coût réel… effrayé par ce qu’il découvrait… une aventure insensée. La leçon va-t-elle servir ? À ce prix…

La 5e maquette est absente car du même principe, mais en plus "mastoc", que celle de Sogelerg {P}, sœur aînée du projet de Rouen {P}: les armateurs se sont déjà déclarés hostiles par principe à un amarrage de leurs unités dans cette nasse ; comme dans toute autre.]
(Sauf celle de Rouen, les photos sont d'Alain Dané, Sud Ouest)

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06/03/81, QUESTIONNAIRE SUD OUEST :

[…]

75% des réponses trouvent préjudiciable à l’harmonie du port de la lune la construction d’un pont dans l’axe des Quinconces. Chiffre qui se vérifie par la réponse à la dernière question: 62% des gens se sont prononcés contre le sacrifice de l’esthétique à un problème de circulation.

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SO = Sud Ouest

Entre [crochets], les commentaires du compilateur.

Lequel a mis en gras des passages pour accélérer le parcours du texte.

Extrait de :

jpc33.free.fr/patrim/recherches.htm

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