Choses d’antan

 

 

 

I

Avec nos sous,
Des élus
Ont ouvert une plaie
Dans le front des quais
Qu’ils auraient dû
Sauvegarder.

II

Pour la faire oublier,
D'un nom ronflant
Ils la cicatriseront
Et, s’en attribuant
Les vertus :
Ils seront réélus.

III

Pour décorer Noël,
Furent payés, à prix d’or,
Des sapins
En simili argent,
De plastique allemand,
Presto disparus,
Ainsi que nos écus.

IV

D’autres furent réélus
Après avoir vendu,
Par des intermédiaires,
(Pour combien de deniers ?),
À Soulac, à Québec,
Nos fontaines
Des allées de Tourny. —
Envolées —
Mais envolées par qui ?

V

Les Bordelais
Ne sont pas prêts
De revoir leurs fontaines.
Dont la disparition
Fut justifiée
Par son coût d'entretien.
Celui du miroir d'eau,
Exorbitant,
N'entre pas en ligne,
Bien sûr.

VI

Les bronzes des fontaines,
Aux Girondins,
Avaient été gardés
Si longtemps prisonniers
Sous le pont d'Aquitaine,
Qu'ils auraient eu le temps
A l'insu de beaucoup,
D'être enlevés dans les bois
(De Montalivet
À l'instar d'une fontaine),
Ou revendus au poids.

VII

À ces pauv' bêtes en bronze,
Si peu de Bordelais,
Elus ou réélus,
Ou modestes électeurs,
S'étaient intéressés
Assez pour les sauver
De leurs vrais ennemis
Et de leurs faux amis.

VIII

Voilà que ces pauv’ bêtes,
Une fois sur leur rookerie,
N’osent plus tourner la tête :
Côté route,
Elles sont terrorisées
Par ces autos,
Qui trissent sur la noire cicatrice
Et polluent
La plus belle esplanade au monde.
Par ces autos,
Qui se croient à cet idiot
De grand prix de Bordeaux.
Côté quai,
Ces pauv' bêtes aquatiques
Sont choquées
Par l'état désertique
D’un port fantomatique
Sans culture historique,
Sans bateaux,
Sans dockers,
Sans grues.

IX

Les autos expulsées,
Les pauv' bêtes
Ne pourront supporter
D'être un jour écrasées,
Par un tramway nouveau,
Alors que l'ancien
Les avaient honorées,
En tenant ses distances
Et ne tuant personne.
Par respect envers l'âge
De ces grands personnages :
Aucune gare de triage
N'avait ruiné les Quinconces.

X

Les chevaux, maintenant,
Pourraient bien voir broyer
Sous leurs yeux
Un enfant oubliant
La dangerosité
Du tramway,
Comme du temps de cet idiot
De Grand Prix de Bordeaux.

XI

Aux chevaux aquatiques,
A ces vieux mariniers,
On aura toujours tu,
Qu’au péril de sa vie,
Un non-élu,
Un inconnu,
Un occupant,
Un ennemi,
Un vrai résistant…
Sauva de la pire mort,
Tout seul,
Des Bordelais,
Leurs grues, leur port —
Que lui seul aimait.

XII

Elle a quitté ce monde,
"La magnifique Gironde
Encombrée de navires",
Qu'aimait Victor Hugo.
Mais las, quelle infortune !
Le croissant de rivière
Du vieux port de la lune,
Qu'encombrent des épaves,
Aujourd'hui,
N’est plus qu’un cimetière…

 

avril 94-jan.08

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Dédié à Henri Salmide,
né HEINZ STAHLSCHMIDT,
à qui Bordeaux, et la France, doivent d'avoir conservé intacts le port et les ponts de Bordeaux malgré l’ordre que l’état major allemand lui avait donné en 1944 de les faire sauter… Cf. Sud Ouest Dimanche 31/01/93, Sud Ouest 23/08/94, 07/04/00 et 29/05/00.

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Fontaine:

www.cyberpresse.ca/article/20070703/CPSOLEIL/70702098/6585/CPSOLEIL

 

 

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