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BORDEAUX ET LE TRANSPORT MARITIME

GENERALITES

A. Malraux avait déclaré jadis que le siècle à venir serait "religieux ou ne serait pas".

On peut, sans crainte d’une mauvaise paraphrase, affirmer que la vocation première, incontestable, du XXIe siècle sera d’être maritime sur tous les plans. Pourquoi?

Le commerce mondial, avec la montée des pays émergents verra une augmentation énorme de la masse et de la valeur des marchandises transportées. Or le tonnage du commerce maritime mondial (4 milliards de tonnes en 2000) représentait déjà 91% du trafic mondial en 1998 selon les statistiques du Lloyd. Or le développement des besoins en produits lourds (pétrole, charbon, minerais divers) ou volumineux (gaz) transportés presque exclusivement par les navires sur les longues distances ne pourra déboucher que sur une augmentation massive de ce pourcentage, déjà impressionnant. Et cela d’autant plus que les moyennes ou petites distances participeront à leur tour à ce formidable accroissement avec le développement du cabotage, rendu inéluctable pour l’engorgement du trafic routier qui impose des infrastructures (routes, ouvrages d’art…) chères, difficiles à aménager comme longues à construire (15 ans pour le tunnel sur l’axe Lyon-Turin, 9 ans pour faire sauter notre bouchon ferroviaire bordelais) et conduiront à une véritable asphyxie de moins en moins tolérée tant par la pollution engendrée que par des bouchons inextricables (déjà les attentes de files de camions à la frontière russo-polonaise atteignent souvent 18 à 24 heures aujourd’hui, que sera-ce en 2030?)

A ces données de base, s’ajoutent des considérations évidentes :

a) la sécurité. Aucune compagnie aérienne ne s’est remise de l’attentat du 11 septembre et le peuple le plus voyageur de la terre éprouve une véritable et durable phobie de l’aérien. Or dans ce monde incertain et troublé les menaces terroristes perdureront après Al-Quaïda.

b) l’économie. Aucun moyen de transport, autre que le navire, ne peut transporter autant de volume de denrées pour un si faible coût énergétique. Or il est absolument inéluctable que l’évolution du coût de l’énergie sera vertigineuse pour les décennies à venir. A moins d’une improbable révolution technologique (réacteurs à hydrogène?) l’avion sera d’un prix de plus en plus inabordable de par sa consommation de kérosène.

c) l’évolution des goûts et des tendances en matière de tourisme. Le développement formidable de la croisière maritime en est la preuve: 8 millions de croisiéristes en 2000, 20 millions prévisibles en 2015. Abaissement des coûts avec le gigantisme des navires (on arrive à des prix à la journée à partir de 150 dollars avec espoir de faire mieux encore) qui augmente la démocratisation de la clientèle, confort, repos, variété des escales et des attraits du bord, ce sont là des atouts extraordinaires et durables. Le tourisme fluvial sous toutes ses formes (petit cabotage, location de bateaux sur les canaux, etc.) connaîtra également un engouement très justifié et durable.

d) les ressources de la mer. La mer: 4/5 de la surface planétaire et toujours mal connue. Ressources sous marines probablement prodigieuses (on soupçonne d’immenses réserves de pétrole sous les pôles), granulats marins indispensables à la construction, probable arrivée du dessalement massif de l’eau de mer devant l’inévitable pénurie d’eau douce sur terre, développement de l’aquaculture, recherches scientifiques dans le domaine de la physique du globe, de la climatologie, etc. On pourrait multiplier en grand nombre les projets et les espoirs que cet élément imposera inéluctablement, sans parler de son permanent attrait mythique.

Bref, affirmer que l’avenir de l’humanité est sur l’eau, est désormais une vérité première.

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LA POLITIQUE DE LA FRANCE FACE AU MONDE MARITIME

Et cependant au sein nos instances dirigeantes et particulièrement celles à vocation politique, qui dit, ou fait, quelque chose de tangible face à cette dernière évidence? Tout au contraire, il faut ici dresser un désastreux bilan de faillite et d’irresponsabilité de nos gouvernants.

La France donne sur ces problèmes un spectacle affligeant. Dans ce pays qui a près de 5000 km de rivages côtiers, dont 10 millions d’individus habitent au long des mers et océans, qui tire fierté de Cousteau et Tabarly, probablement les français les plus connus (après La Fayette et De Gaulle) du commun citoyen d’outre-atlantique, comment se fait-il qu’il n’y ait plus de Ministère de la mer depuis Rocard? Le maritime est un appendice du ministère des Transports, nos pêcheurs (la population la plus méritante, la plus vaillante, la plus exposée aux dangers et aux décès accidentels) ne sont plus que d’anonymes travailleurs vaguement administrés par… le ministère de l’agriculture! Notre flotte de commerce est en voie de disparition (7e mondiale en 1975, 27e aujourd’hui), derrière la Turquie, pays pourtant si contesté en ce moment! Il reste un seul grand chantier naval contre 14 en 1970. Notre commerce d’import-export se paie lourdement en dollars, notre savoir-faire en matière d’industrie maritime s’étiole. Un amiral a eu l’occasion de dire que, si nous ne lançons pas un 2e porte-avions prochainement, nous ne serions plus capables d’en construire un dans 20 ans, faute de compétences techniques de niveau suffisant face à l’effrayante complexité d’un tel bâtiment qu’on ne saurait improviser sans une expérience continue. Nous étions des constructeurs de navires parmi les plus réputés au monde (cf. Normandie, France, Queen Mary-2). Nous n’avons presque plus de marins qualifiés (quelques milliers sur 3 millions dans le monde). L’enseignement maritime est devenu confidentiel, on ne forme plus guère d’ingénieurs navals. Le contrôle des navires-épaves dans les ports, tarte à la crème de tous les débats suite aux calamités comme celle de l’Erika, est présentement une vue de l’esprit compte tenu que nous n’avons plus dans ce pays un nombre suffisant d’inspecteurs de navigation qualifiés. Les voies navigables, les canaux sont abandonnés alors que la voie fluviale sera la reine de demain. Arrêtons ici cette série de désastres nationaux.

Mais leur simple évocation devrait inciter sans tarder les électeurs à un sursaut pour choisir une autre génération d’élus aussi bien dans les instances nationales que locales, décidés à redresser la barre, pour employer ici une très opportune citation courante. Nous en avons encore les moyens en envoyant des ambassadeurs qualifiés dans les instances internationales et notamment européennes où les postes importants sont chèrement disputés, en négociant avec persévérance avec talent auprès des maigres troupes des syndicats corporatistes, en encourageant les armateurs à s’enregistrer sur des contrats offshore (à ne pas confondre avec les pavillons de complaisance), en luttant contre la frilosité exagérée face aux problèmes de la mondialisation, prétexte trop vite mis en avant pour ne rien faire. Il suffit de voir comment nos amis européens, norvégiens, allemands, danois, hollandais, allemands, grecs ont tiré leur épingle du jeu dans le contexte difficile 1980-2000. Or aujourd’hui l’avenir est exaltant. On manque et on manquera de navires pour longtemps, les frets grimpent plus vite que les prix du pétrole.

Il est déjà tard. Demain sera trop tard. Arrêtons d’être obligés d’enseigner à nos enfants que Colbert est notre plus récent grand ministre de la mer.

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LE PORT DE BORDEAUX
DANS LE PRESENT CONTEXTE MARITIME

Il eut été agréable pour un bordelais moyen de penser que son port a échappé partiellement à la décadence généralisée ci-dessus brossée. Certains hommes politiques locaux ayant des ambitions nationales, n’hésitent-ils pas à vanter les succès voire la prospérité du port?

Il faut parler ici de déclarations impudentes, scandaleusement mensongères où l’autosatisfaction de mauvais aloi le dispute à l’incompétence totale, fruit d’une vertigineuse ignorance complète des enjeux, des réalités du passé et de l’avenir.

Avant de dresser l’affligeant procès-verbal des échecs éclatants dans ce domaine, chiffres et statistiques à l’appui, il convient de rappeler quelques évidences historiques et géographiques

Si l’on devait définir BORDEAUX, on devrait avant tout dire que, plus qu’une ville, c’est un EMPLACEMENT restant fidèle en cela à l’étymologie du nom. Un emplacement idéal, exceptionnel qui a émerveillé les romains et fait en sorte que depuis 20 siècles, en ce lieu, la géographie a dominé l’histoire. Depuis les Viviges, c’est le lieu qui a déterminé le comportement de toutes les populations successives. Entre des terres fertiles et une rivière s’apparentant à un bras de mer, tout conduisait à un commerce de vocation maritime, même quand les habitants locaux restaient assez éloignés des choses de la navigation. Les romains avaient les premiers compris l’intérêt de l’axe commercial Méditerranée-Atlantique, prodigieusement facilité par cet énorme estuaire véritable voie royale de la pénétration océanique au plus profond des terres. Les Anglais ont suivi leur exemple lorsqu’ils ont annexé la Guyenne et le commerce du vin, de l’étain, du bois fut l’épine dorsale de cette ville de commerce qui n’était pas encore un port bâti mais un port naturel, on pourrait dire évident. Lorsque vint la découverte du Nouveau Monde, la révélation des terres africaines et orientales, on s’aperçut alors que BORDEAUX devenait le site stratégiquement idéal pour un commerce maritime international: une fenêtre sur les Amériques et leurs îles, le point le plus au sud pour les relations avec la péninsule ibérique et l’Afrique, un débouché naturel de toutes les riches ressources agricoles du Sud-ouest du pays, et l’import des produits exotiques.

Si l’on rappelle ici ces lieux communs évidents sur l’extraordinaire valeur du site, c’est parce qu’il de bon ton aujourd’hui de la part d’élus locaux, flanqués de quelques technocrates, généralement parisiens, totalement ignares des données fondamentales du commerce maritime, de déclarer en privé que "le port de Bordeaux, c’est fini" tout en clamant publiquement que tout va bien.

Il faut dire tout le contraire: 1) Le P.A.B. garde tous ses atouts ; 2) Le P.A.B. va pourtant mal en raison des carences des responsables.

Les atouts. C’est un port "complet" c’est à dire à la fois: un port de mer, Le Verdon est:

Accessible par un chenal en eau profonde

(quand il y avait encore des raffineries il a reçu des pétroliers de 300000 tonnes avec des tirants d’eau de plus de 13m). Il peut recevoir aujourd’hui les plus grands porte-conteneurs du monde avec un arrière terre plein disponible de 800 hectares pour d’éventuelles implantations industrielles.

Un port d’estuaire en eau profonde

Contrairement à une idée très répandue, les ports d’estuaire amenant des lourdes cargaisons à l’intérieur des terres constituent un énorme avantage pour les chargeurs (dont les intérêts sont parfois contradictoires à ceux des armateurs amoureux des escales rapides) parce que le transport maritime est le moins cher du monde et il est avantageux qu’il permette la meilleure approche du lieu de destination (une orange du Maroc pour Toulouse revient moins cher à l’acquéreur si elle a été débarquée à Bassens plutôt qu’à La Pallice). Or de tous les ports français atlantique l’estuaire de la Gironde est celui qui autorise les plus forts tirants d’eau, c'est-à-dire les plus grosses cargaisons.

Un port d’éclatement

Grâce à sa multitude de ports secondaires annexes: Pauillac, Blaye, Ambes, Libourne le PAB s’ouvre à une grande variété de dessertes des deux côtés de l’estuaire.

Un port de Centre-ville

C’est un phénomène unique en Europe: Bordeaux peut recevoir des paquebots d’une longueur proche de celle du Titanic (Crystal Serenity) sur une rade en profondeur naturelle de 10m sans dragage et ce, en face du cœur même de la ville, ce qui enchante les touristes friands du plus court déplacement.

— Il convient d’ajouter que c’est un port d’arrière pays idéal:

Il est au débouché du canal latéral de la Garonne qui, modernisé, permettrait un trafic fluvial considérable jusqu’à Toulouse.

Il faut rappeler ici qu’une péniche de 5000tx représente 250 camions ou 14 trains avec un une dépense d’énergie ridicule et une pollution nulle. C’est, à terme, et inévitablement la voie de l’avenir même si les sots et les frileux s’effraient des coûts de la modernisation.

En 2006 Bordeaux sera aussi le débouché du terminal autoroutier reliant Bordeaux à tout l’est de la France. Les perspectives sont considérables si des offres de transit intéressantes sont offertes aux producteurs de la Région Rhône-Alpes.

Bordeaux est également sur l’axe nord-sud de la péninsule ibérique. Beaucoup oublient que le méridien de Bordeaux passe par Valence, sur la Méditerranée, ce qui le définit comme le plus sud et donc le plus proche parmi tous les grands ports français de l’Ouest avec toutes les connexions que laisse présupposer cet axe central.

Bordeaux, ne l’oublions pas, est l’ancienne tête de ligne de la Compagnie Sud-Atlantique (filiale des Chargeurs Réunis) et a laissé un souvenir très apprécié et encore vivace dans l’esprit des sud-américains dont beaucoup de leurs aînés ont vécu là leur premier contact avec le monde européen non ibérique. Le Brésil, neuvième puissance mondiale pour le PNB sera, de l’avis de tous les experts, une grande puissance économique à brève échéance avec une production massive de produits bruts ou finis très variés. Le PAB a là une belle carte à jouer.

Enfin, BORDEAUX est au centre du fameux "arc atlantique" des ports allant de Lisbonne à la pointe de Cornouailles, ce qui le définit comme devant avoir un rôle majeur dans le cabotage international plus communément défini comme futures "autoroutes de la mer", dont les perspectives sont considérables à moyen terme. Il doit devenir le maillon régulateur de toutes les liaisons rapides envisagées.

On le voit, toutes ces données militent pour de grands espoirs.

Hélas, le présent est sombre.

Il faut ici se tourner d’abord vers les chiffres.

—o—

BILANS ET STATISTIQUES DU P.A.B.

Celles-ci doivent être interprétées avec beaucoup de prudence, compte tenu de nombreux facteurs. Citons le rôle particulier et prépondérant des hydrocarbures, l’évolution de la taille des navires (tendance vers le gigantisme et donc diminution de leur nombre), les fluctuations d’une année sur l’autre, qui sont parfois sans signification en raison de facteurs impondérables dus aux variations climatiques, aux aléas des conditions sociales ou économiques des hinterlands concernés, etc. Pour rester dans le vrai, il convient donc de se référer aux tendances manifestées sur le long terme, ainsi qu’à la comparaison étalée sur une même période avec les autres villes portuaires.

Tonnage total à l’import et à l’export (en millions de tonnes) :

année

tonnage

année

tonnage

année

tonnage

année

tonnage

1910

4,051

1970

11,455

1995

8,979

2000

9,315

1920

4,617

1975

13,090

1996

8,707

2001

8,964

1930

5,007

1980

13,552

1997

8,412

2002

8,614

1950

3,423

1985

10,688

1998

8,729

2003

8,394

1960

5,509

1990

08,724

1999

8,941

2004

gros soucis

Commentaire :

On remarquera que la fermeture définitive des 3 raffineries au début des années 80 a porté un coup irrémédiable à la bonne évolution du trafic. Aucune recherche compensatoire n’a été entreprise hélas, mis à part le petit sursaut de 2000-2001 dû essentiellement à l’exportation des bois de chablis après la tempête de 1999. Faut-il donc que les bourrasques détruisent toute la forêt des Landes pour que le PAB survive? Cette passivité devant la conjoncture est affligeante.

Si l’on se réfère aux 8 dernières années (qui correspondent à l’ère JUPPE), on observe une relative stabilité jusque en 2001 à partir de 2002 une baisse sensible et constante. 2004 sera sans doute catastrophique avec la chute de la maïsiculture en raison de la sécheresse. De plus l’arrêt définitif de la centrale EDF (au fuel) a toutes chances d’aggraver encore la situation des imports d’hydrocarbures. Nouvelle défaite.

D’autre part, si l’on fait abstraction des hydrocarbures (dont le rôle dans le tonnage global n’a démarré véritablement qu’au début des années 50), on remarquera que le trafic autre que le vrac liquide s’est élevé à 4,310 millions de tonnes soit un peu moins que le trafic de 1920 et beaucoup moins que celui de 1930! On ne s’étonnera pas d’observer la dégringolade du rang de Bordeaux dans la hiérarchie des 6 ports autonomes français. Le PAB avant guerre était le 4e derrière Marseille, Le Havre et Dunkerque, à égalité avec Rouen et devant Nantes.

En 2002 les résultats du trafic dans ces mêmes ports étaient les suivants (en millions de tonnes):
Marseille 62,45, Le Havre 67,67, Dunkerque 47,59, Nantes 19,59, Bordeaux 8,61. Beaucoup de voix s’élèvent ça et là pour déclasser Bordeaux des ports autonomes et font remarquer que sur plusieurs points La Pallice et Bayonne surclassent Bordeaux où les responsables s’obstinent à pleurnicher sur les raffineries perdues pour tenter de camoufler leurs véritables carences sur tous les plans…

Pour rester dans les comparaisons, jetons un regard sur l’évolution 1995-2002
(toujours l’ère JUPPE) avec les mêmes autres ports :

Port

évolution

Marseille passe de 86,45 MT à 92,45 MT soit…

+10,%

Dunkerque passe de 39,38 MT à 47,59 MT soit…

+20,8%

Le Havre passe de 53,78 MT à 67,67MT soit…

+25,8 %

Rouen passe de 18,82 MT à 19,59MT soit…

+1,0 %

Nantes passe de 23,80MT à 31,69MT soit…

+31,1 %

La Pallice passe de 6,13 MT à 7,32 MT soit…

+19,4 %

Bayonne passe de 2,71MT à 4,17 MT soit…

+53,8 %

Bordeaux passe de 8,90MT à 8,61 MT soit…

-3,36 %

On voit donc aussitôt que le port de Bordeaux est le seul à avoir régressé depuis 1995.

A quoi sert-il d’avoir un maire premier ministre, dauphin du Président et chef de la majorité?

Et surtout que l’on ne vienne pas ergoter sur les fluctuations pétrolières avec des ports comme Dunkerque, Rouen ou Bayonne qui ont un pourcentage de trafic pétrolier assez mince…

Si l’on se penche sur certains trafics très symboliques, le constat est tout aussi affligeant.

Concernant les marchandises conteneurisées dont le volume est partout en accroissement, celui de Bordeaux stagne en plafonnant vers les 500000 tonnes; Le Verdon a perdu plusieurs compagnies régulières sans aucune compensation véritable.

Mais c’est surtout la question des paquebots qui est la plus scandaleuse.

Alors qu’à partir des années 80, grâce à l’initiative personnelle de 2 ou 3 personnes, ne disposant d’aucun soutien, Bordeaux avait été un des premiers ports atlantiques à recevoir des grands navires de croisière avec un trafic qui n’avait cessé de croître, passant de la vingtaine en 90 jusqu’à la cinquantaine en 2001, le nombre de paquebots s’est effondré pour tomber à 19 en 2003 alors que tous les autres ports enregistraient des accroissements de visites très spectaculaires. Pour l’exemple nous noterons que Marseille qui ne recevait aucun navire de croisière en 1990 en attend plus de 300 cette année et veut atteindre les 500 à l’horizon 2010. Quelles sont les raisons de cette débâcle?

Les causes sont multiples. L’escale est chère et on ne fait rien pour en réduire les coûts. Parfois même on a imposé la présence de remorqueurs tout à fait inutiles pour de soi-disant raisons de sécurité. Mais surtout l’accueil a été très mauvais. Outre des chinoiseries ridicules toujours pour la sacro-sainte "sécurité", on a négligé totalement l’accueil des touristes en les laissant désemparés dans le dédale des barrières et des tranchées consécutives aux travaux du tramway. Les rapports d’escale des capitaines n’ont probablement pas arrangé les choses.

Au lieu de tout faire pour réparer ces négligences, voilà qu’on met désormais les paquebots à la porte du centre-ville pour satisfaire aux élucubrations d’un paysagiste de passage, qui croit magnifier ce site unique de la place de la Bourse par la création d’une coûteuse flaque pour moustiques et seringues variées susceptible de générer des reflets mirobolants que personne ne viendra juger et surtout pas les croisiéristes rejetés dans les affriolants parages d’un banc d’épaves de la 2e guerre mondiale, découvrant à marée basse. Partout ailleurs en France on investit pour accueillir les touristes. A Bordeaux, on chasse les visiteurs du salon pour les cantonner dans l’antichambre.

Tout cela signifie la mort programmée de ces visites, si bénéfiques pour le commerce avec des milliers de touristes dépensant souvent plus de 200 euros par personne et par jour. Comble du ridicule, on va, pour recevoir des navires qui nous auront déserté depuis belle lurette, se lancer dans l’effarante construction d’un monstrueux pont-levant qui va déshonorer le paysage tout en coupant définitivement Bacalan du reste de la ville par une infernale autoroute polluante bourrée de camions en transit alors qu’il suffisait d'un modeste franchissement urbain par voie de tunnel au gabarit réduit pour drainer les voitures des habitants de la rive droite sans les camions et qu’un télépéage aurait amorti en 30 ans. En outre personne ne sait comment s’articulera l’intersection de cette autoroute et de la ligne des quais que l’on remodèle à grands frais.

En fin de compte, les Bordelais ne verront plus ces grands navires, symboles du grand large, de l’appel irrésistible du monde de l’outre mer, qui ensorcellera toujours les esprits épris de rêves, d’espace, de conquêtes. Sur ces quais, combien y a-t-il eu de naissantes vocations pour devenir qui marin, qui colon, qui administrateur ou médecin de l'outremer, qui négociant-exportateur, qui courtier maritime, tous métiers qui font autant la gloire d’une ville que l’honneur d’une population. Aujourd’hui nous n’avons pour plat principal dans le cadre de cette "reconquête du fleuve" dont on nous rebat les oreilles, que cette pitoyable "Fête du Fleuve", dérisoire fête à Neu-Neu devant des eaux glauques, désertes de tout navire, sans le charme de Nogent et sans Van Gogh.
[Rem]

—o—

CONCLUSION

Malgré ses atouts, le port de Bordeaux connaît une crise grave. Il en a vu d’autres au cours des siècles; mais il aurait pu faire l’économie de cette crise; qui n’est pas d’origine structurelle. C’est la carence, la légèreté, l’ignorance de tous les responsables successifs de la cité dont il faut faire inlassablement le procès dès qu’une occasion se présente, un débat électoral par exemple. Conduite par de médiocres notables, souvent utilisateurs incongrus de leur nom, la CCI a manqué à tous ses devoirs depuis des décennies. Obnubilée par la vigne et la forêt, elle a tourné le dos à sa vocation portuaire. Un directeur d’une entreprise importante d’export-import toulousaine a été amené à faire part de sa stupéfaction de n’avoir reçu aucun signe de Bordeaux alors qu’il était assailli de toutes sortes d’appels d’offres de la part des acteurs du commerce maritime de Bayonne, La Pallice, Sète, Port-Vendres, Marseille et même Nice. Dès lors on ne s’étonnera pas de voir les responsables du PAB chercher leurs fins de mois dans la vente des bijoux de famille. Faute de navires, on réduit les frais et on vend des terrains. Ce n’est plus un port mais une entreprise foncière qui vend des terrains. Le Port, premier agent immobilier du département, qui l’eut cru? Heureusement le bas de laine était bien rempli car il reste quelques 1500 hectares dont 900 au Verdon, 70 à Ambès, 270 au nord de Bassens. Ces terrains-là qu’on les vende ou qu’on les loue, oui certes, mais pour des implantations prometteuses d’usines, d’entreprises commerciales ou industrielles modernes, soucieuses des technologies de demain. Il y en a certainement, intéressées par ces grandes surfaces que l’on ne trouve guère ailleurs dans les parages des grands ports. Il faut chercher avec patience, avec obstination. Et surtout vouloir. Alors le bassin d’emplois directs et indirects de l’estuaire pourra redevenir le premier bassin d’emplois départemental (avant l’hôpital) qu’il a été jusqu’à 1970.

Hélas, aujourd’hui on se contente de brader les admirables bassins à flot, avec 2 belles cales sèches et un atelier de réparation navale, toujours en activité, au mépris de toute perspective à long terme, pour satisfaire tous les appétits suspects autour de l’implantation d’une vague marina, source inépuisable de florissantes spéculations foncières. Quant aux derniers hangars de la rive gauche, on en a fait des quincailleries et des jardineries sans daigner conserver le moindre vestige, la moindre maquette révélatrice d’un glorieux passé, susceptible de marquer au moins les esprits des jeunes générations.

Qui renie son passé, se prive de tout avenir.

A la fin du XVIIIe siècle, BORDEAUX était le premier port du continent européen. Il est aujourd’hui le 29e.

Messieurs les responsables locaux de ce dernier quart de siècle, vous aurez des comptes à rendre auprès des générations de ce XXIe qui, répétons-le, "sera maritime ou ne sera pas".

MAIS BORDEAUX SERA-T-IL ?

Jean Mandouze

_________________________ 

[Rem: données valables pour "l’ère JUPPE" (comme dit J. M.), car écrit avant 2005, année où la fête du fleuve ressemblait, sous le nouveau maire, à une mini Cutty Sark ! 8 ]

§, 8 , 8 , §, {G}

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